Lettre aux amis du monde entier buveurs de bon vin de Bordeaux... et d'ailleurs

 














NOS VOYAGES

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17 & 18 mai 2003
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MÉDOC - SAUTERNES
Participants : Nicolas de Bailliencourt (Pomerol), Bully, Cécile et Daniel Berger, Maurice Berger, Hélène et Patrick Bernard (Bordeaux), Héliane et Jean Biais (Bordeaux), Catherine et Henry Bridel (Vayres), Martine et Bernard Collet, Lou et Patrick Esquerré, Claire et Philippe Étienne, Brigitte et Renaud Ferragu, Nina et Tristan Follin, Bib et Paul Harnist (Colmar), Catherine Makarius et Pierre Ploix, Thérèse et Didier Russell, Anne Froger et Lincoln Siliakus, Marie Boutaud et Robert Tixier-Guichard, Pierre Wagniart.


SAMEDI 17 MAI 2003

MONTROSE, GRAND-PUY-LACOSTE

Château Montrose, 2ème Cru Classé de Saint-Estèphe

Nous roulons vers le Médoc, le long de la Gironde à droite sur la route des châteaux magiques : Palmer en entrant dans Margaux, Beychevelle à Saint-Julien et Ducru-Beaucaillou là-bas à droite; Léoville-Las-Cases (arche de triomphe), Latour (fameux dôme en pierre blanche, à Pauillac), et à l'entrée de Saint-Estèphe, Cos d'Estournel (clochetons de pagode). Au coin de Cos Labory, on tourne vers Montrose où nous emmène notre «capitaine-conseil», Jean Biais. Pour notre 10ème voyage en 3 ans et demi, avec son aide, nous sommes aujourd’hui 35. Cèdres et palmiers, ruelles entre les bâtiments baptisées « rues d'Alsace » et « rue de Mulhouse » rappelant les origines des anciens propriétaires. Dans la lumière douce trône un simple manoir coiffé d'un pigeonnier dont l'abord est égayé d'une statue de Paul et Virginie sous un ombrelle. C'est là, sur le plateau qui descend doucement vers le fleuve ocre, impassible, que se combinent les dons de la nature : ensoleillement uniforme dès l’aube; gel très rare; sol de graves à la fois filtre et "chauffe-pieds". Le terroir permet une vendange précoce, livrant des moûts éclatants de santé.
M. et Mme Jean-Louis Charmoluë, 3ème génération de propriétaires (depuis 1896), nous convient à déjeuner dans la grande salle de dégustation attenante au chai. Pour le bon équilibre entre les deux rives, notre ami de Pomerol nous y a rejoint, Nicolas de Bailliencourt, propriétaire de Château Gazin. Les discussions vont bon train, encouragées dès la salade de gésiers par un Dame de Montrose 1998, le 2ème vin, plaisant sans s'imposer, racé; suivi d'un Château Montrose 1996 sur le gigot d'agneau aux champignons, - tannique, progressif, montrant une puissance tranquille et un grand potentiel (20 ans sans doute) -; et sur les fromages et le dessert, un Château Montrose 1994 d'une intensité bien différente, nettement plus mûr mais encore concentré et fruité, apparaissant après son cadet, joliment confituré. La longévité est une des caractéristiques de Montrose, comme le rappelle une fameuse dégustation de la fin des années 1960 : un Grand-Puy-Lacoste 1893 (l’année de la Comète, vendangée au 15 août) avait été mis en concurrence avec un Montrose 1865. Le septuagénaire de Pauillac était mûr à point, alors que le centenaire de Saint-Estèphe était jugé "encore trop jeune", à l'unanimité des convives... Madame Charmolüe nous confie au café que l'intérêt pour Montrose ne faiblit pas : elle reçoit régulièrement des coups de téléphone d'"acheteurs potentiels", et des connus.
Le régisseur Philippe de Lagarigue nous introduit dans le chai tout nouveau, fonctionnel et ergonomique, "révolutionnaire" ajoute Patrick Bernard (patron de Millésima, dont le frère Olivier a réalisé une installation futuriste au Domaine de Chevalier à Léognan), approuvé par Henry Bridel (qui a construit l’usine de produits glacés de Vayres, la plus moderne en Europe). Tout est ordre, soin, minutie et originalité, car les cuviers inox ont la forme des anciens cuviers de bois, plus larges que hauts, permettant un contact plus long des moûts et des peaux, donc une meilleure maturation. La conception du chai-usine a pris 2 ans. Il est opérationnel pour la 1ère fois en 2003. Le nouveau Montrose va arriver.

Superficie : 68,5 ha d'un seul tenant (5% de l'appellation). Encépagement : 65% cabernet sauvignon, 25% merlot, 10% cabernet franc. Rendement moyen : 45 hl/ha. Production : 340 000 b/an , dont 110 000 en 2 ème vin (Dame de Montrose). Chais : 36 cuves inox (32 de 200 hl et 4 de 130 hl); 1 500 barriques de chêne neuves à 70% pour le 1er vin et à 30% pour le 2 ème.

Prix
: primeurs 2002 à 28,60 e ht départ négociant (22 e prix de place).

Château Grand-Puy-Lacoste, 5ème Cru Classé de Pauillac

François-Xavier Borie a commencé ici à 29 ans, à la vendange 1982, le pied mis à l'étrier par son père Jean-Eugène Borie, aussi propriétaire de Ducru-Beaucaillou à Saint-Julien, qui avait acheté le domaine à Raymond Dupin, figure de Pauillac, l’agrandissant de 20 ha. En son absence, c’est le régisseur du domaine (20 employés), Marc Duvocelle, qui nous reçoit.

Dégustation : le 1er vin de 1999, type même du Pauillac classique, à la fois tannique et fondu. Corsé, souple et lustré, aux fameux arômes de cassis. La puissance s'exprime par paliers, discrète d’abord, puis imposante. Attendre 8 ans. Marc Duvocelle nous rappelle que le 1999 est considéré comme supérieur à 1998, lui-même supérieur à 1997, mais inférieur à 2000.

Route dans l'autre sens. Le ruban déroule à nouveau son décor magique : Lafite Rothschild (derrière un rideau de saules, discret); la bouteille monumentale de "La Rose Pauillac" (la cave coopérative); Pichon-Longueville-Comtesse (pointu impeccable). Détour par le temple aux quatre colonnes ioniennes en façade, le Château Margaux, «Opéra des vignes». Puis Durfort-Vivens, Prieuré-Lichine et, passé Macau, Cantemerle dissimulé au bout d’une longue allée d’arbres. Et tous autres châteaux, aperçus, devinés, imaginés.

Superficie : 50 ha d'un seul tenant (4% de l'appellation). Encépagement : 70% cabernet sauvignon, 25% merlot, 5% cabernet franc. Rendement moyen : 45 hl/ha (55% de 1èr vin en 2002). Production : 270 000 b/an, dont 90 000 en 2 ème (Lacoste-Borie) et selon les années, de 3 ème (Domaine de Saint-Guirons). 4ème vin : "Pauillac" de Millésima. Âge moyen des vignes : 45 ans (les plus vieux CS datent de 1924). Chais : 1 000 barriques neuves/an (tous vins).

Prix des primeurs 2002 : 1èr vin à 20,60 e ht départ négociant.
Le 2ème, Lacoste-Borie, à 8,10 e ttc sur www. chateaunet.com.

Dîner

Après un parcours chaotique et répétitif dans des rues étroites chamboulées par les travaux du futur tramway, dîner à "l'Estacade", un ponton sur la Garonne aménagé par les champions Zidane et Dugarry, face à la Bourse du Commerce illuminée sur la rive en face, arrosé d’un Lalande-Borie 1997 et d’un Sénéjac 1999.


DIMANCHE 18 MAI 2003

MYRAT, LIOT

Château de Myrat, 2ème Cru Classé de Barsac (Sauternes)

Admirable Xavier de Pontac, exploitant lui-même son vignoble miraculé, qui grâce à l’aimable entremise d’Hélène et Patrick Bernard, nous reçoit en ce dimanche matin devant la belle chartreuse XVIIIème, nimbée de la même lumière grise et douce qu’hier en Médoc. Valeureux Jacques, financier à Paris, son frère. Ce sont les descendants directs de l'ancêtre fondateur, Jean de Pontac, premier propriétaire de Haut-Brion, et de son petit-fils Arnaud, créateur au XVIIème du premier bar à vins à Londres pour y lancer le "claret", et inventeur de la notion de "Cru". Les deux frères ont eu de sérieuses raisons de craquer. A la mort de Monsieur leur père qui avait tout arraché en 1976, ils décident in extremis avant que ne s'éteignent leurs droits, de complanter 150 000 pieds. Pas le moindre jus en trois ans. Pendant que les domaines voisins font merveille en ces années 1988-89-90, les meilleures depuis… 1937. Puis 1991 : gel à 90 % (1). 1992-93 : pluies et coulures. 1994 : gel à nouveau et un unique rang de barriques au lieu des trois chais remplis à chaque récolte. Malgré l'adversité, les frères de Pontac ne se sont jamais laissé gagner par le pessimisme. Et la récompense est arrivée, les louanges ont afflué. Les affaires remarchent : Myrat est aujourd'hui l’une des plus belles réussites du sauternais (2). "Cela a pris beaucoup de temps" souffle Xavier de Pontac avec modestie, lui qui se voit plutôt "paysan" que "châtelain".
Car la terre précède l'homme, cette terre d'argile pauvre sur une dalle de calcaire, le dur "pavé de Barsac" dont on a construit le Grand Théâtre à Bordeaux. "L'oenologue c'est le vendangeur" poursuit-il, qui va savoir trier un à un les grains surmûris atteints de pourriture, dans l'air moîte du Ciron. Cette petite rivière, qui draîne les Landes vers la Garonne en lui apportant leur fraîcheur, provoque des brouillards matinaux dont l'humidité pénètre lentement le raisin. "Le vendangeur est un cueilleur de champignons", le fameux botrytis qui fonce et frippe la peau des grains de sémillon, en dévore le sucre et concentre leur jus: un grain doré en donne quatre ou cinq gouttes, un grain marron une seule; et chaque pied (6 à 8 grappes) ne produira qu'un à deux verres de vin (contre au minimum 1 à 2 par grappe en Médoc). Il faut arrêter la cueillette à la moindre pluie, qui gorge le raisin comme une éponge. La surmaturation résulte de l’alternance humidité-sécheresse-vent. Le vendangeur ne sait ni quand il commence ni quand il finit ses "tries", - cinq, six, sept passages, parfois plus, entre le 15 septembre et le 15 novembre aux premières neiges des Pyrénées -. De ce raisin botrytisé s’égouttera un liquide d'or exprimant de complexes arômes de fleurs et de fruits, qui évoluent du frais au confit au fur et à mesure que la bouteille prend de l'âge (de 10 à 50 ans et plus). Pour atteindre l'excellence arômatique et gustative, il faudra du génie pour assembler la récolte de chaque journée, restée en isolement jusqu'à janvier-février. Et sélectionner encore et encore, en sacrifiant l'équivalent d'un grand nombre de bouteilles, qui sera cédé en vrac, à moindre prix. Les grands millésimes sont peu nombreux en quantité (3).

Dégustation : le 2000, déjà une réussite: ***, nez d'agrumes et peut-être de coing; bouche fraîche et humide; rencontre de prunes et de figues jeunes; subtile voile de fougère;
- le 1996: ****, entièrement différent (même château ?), épicé, complexe, triomphant, peut-être un peu iodé ; du minéral mais sans ce goût d'hydrocarbure, caractéristique du riesling, relevé par Robert Parker; perfection extravagante;
- le 1997: ***, plus discret, entre la légèreté d’un Climens et l'ampleur d’un Rieussec;
- le 2002, préparé pour les dégustateurs du négoce dans un papier doré pour le protèger de la lumière. Encore trouble. Du fruité, du gras, de l'acidité (pamplemousse), du parfum (fleur blanche). Sans doute un futur (très) grand Barsac.

Encépagement : 85% sémillon, 10% sauvignon, 5% muscadelle. Rendement moyen : 14 hl/ha. Production : 25 000 b/an.Vieillissement en barriques de chêne neuves à 30% ("le bois est comme le sel et le poivre, un simple assaisonnement et non un arôme du vin" précise Xavier de Pontac).

Prix : 2002 primeurs : 22,12 e ttc/b départ (Millesima, 1855.com, ChateauOnLine, Intendant.com). 1997 : 20 e ttc/b franco chez Millesima (par 3 caisses).

Château Liot, AOC Barsac

Après un rapide déjeuner arrosé d'un Château Robinet (!), graves rouge de Léogeats bien rustique, nous rejoignons Liot sur le haut Barsac, belle demeure XVIIIème dont le vignoble est ceint de murets bas. Petit tour des installations guidé par la propriétaire Elena David, qui nous a reçus à la demande des amis Bridel. Le toit a dû être ouvert pour descendre deux grandes cuves verticales en inox aussi hautes que le chai. Les équipements, différents pour les liquoreux (lorsque la qualité est suffisante pour en produire), blancs secs et rouges, sont gérés avec astuce dans une ambiance familiale.

Dégustation. Elena David nous fait goûter le 2001, encore trouble, acidulé et sucré à la fois, fruité, inachevé. Puis le 1999, qui après les impressions matinales de Myrat, apparaît mielleux et presqu'épais. De grosses larmes coulent à l’intérieur du verre. La richesse, la douceur et le gras hypnotisent notre bouche, puis notre esprit : seul le chauffeur ne somnolait pas (et encore) sur le retour, le long d'Yquem et de Suduirant.

Encépagement : 80% sémillon, 10% sauvignon, 10% muscadelle. Rendement moyen : 23hl/ha, Production : 40 000 b/an et 20 000 de 2ème (Château du Levant). Vieillissement 15-18 mois en fûts de chêne neufs à 15%.

Prix du 2002 en primeur : 12,5 e ht/b franco (Millesima).


(1) A peine 10% de la récolte, à l'opposé cette année 1991, de la miraculeuse proportion de Montrose (90%). Les gelées peuvent intervenir tardivement, jusqu'aux "saints de glace" - Saint Mamert (11/5), Saint Pancrace (12/5) et Saint Gervais (13/5) -, tant redoutés des vignerons.

(2) L'appellation "Sauternes" (240 exploitations) couvre 2 385 ha sur cinq communes de la rive gauche de la Garonne : Fargues (185 ha), Bommes (380 ha), Sauternes (400 ha), Preignac (565 ha), Barsac (620 ha), cette dernière étant une appellation en soi. Tous les Barsac peuvent en effet s'appeler Sauternes, mais tous les Sauternes ne peuvent pas s'appeler Barsac. Barsac s’appelle «Sauternes-Barsac» pour se différencier des Sauternes génériques. D’autres liquoreux sont récoltés à Cérons et Pujols, à proximité, et sur la rive droite à Sainte-Croix-du-Mont, Loupiac et Cadillac. Et aussi dans le Sud Ouest, à Monbazillac ou Jurançon.

(3) Les demi-secs, moëlleux et liquoreux se caractérisent par la présence de sucre résiduel (naturel, non fermenté) qui ne se transforme pas en alcool. L’influence (micro)climatique est semblable en Anjou (Layon, Aubance, Bonnezeaux) ; en Touraine, à Vouvray ; dans les vallées d'Alsace, de Moselle outre-Rhin, ou en Hongrie, autour des rivières Bodrog et Tisza au Mont Tokaj.
Les «moëlleux» (du Val-de-Loire par exemple) sont considérés comme moins riches en sucre que les «liquoreux» (Sauternes, Alsace, Mösel et Tokaj, «vin des rois, roi des vins»).

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